Un peu plus d’un an après le lancement du Compte-Nickel, Jocelyne Ozdoba, spécialiste du secteur bancaire, fait le point sur ce service financier destiné aux clients “fragiles”.
En février 2014, un nouvel acteur faisait son apparition sur le marché bancaire français: le Compte-Nickel. Son slogan? “Un compte sans banque pour ceux qui ne veulent plus des banques ou dont les banques ne veulent plus“. Il promettait ainsi de toucher les 1% de Français n’ayant pas de compte en banque. Mais aussi ceux (bien plus nombreux) n’ayant pas accès à des services bancaires dits “de base”(nécessaires dans la vie quotidienne); ou encore ceux faisant un mauvais usage de ces services (dépassement du découvert autorisé, etc.). Un an plus tard, le Compte-Nickel est conforme à son plan de développement et a su convaincre près de 100.000 clients. Qu’en est-il pour les clients les plus fragiles?
Outre une mobilisation de longue date d’acteurs privés (secteur associatif, bancaire et de la microfinance), des avancées législatives ont récemment permis de faire progresser l’inclusion bancaire en France. Depuis 2008, la Banque Postale est tenue d’ouvrir un livret A “à toute personne qui en fait la demande” et d’effectuer gratuitement les dépôts et retraits sur ce livret à partir de 1,5 euro. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 est allée plus loin en introduisant un plafonnement des frais d’interventions [en cas de dépassement du découvert autorisé, NDLR] et imposant aux banques de proposer à leurs client identifiés comme “fragiles” une offre à 3 euros par mois, gratuite dans certains établissements. Comportant notamment une carte de paiement à autorisation systématique, un moyen de consultation du compte à distance, un système d’alertes sur le niveau du solde du compte, ainsi que quatre virements et deux chèques de banque par mois, elle répond bien aux besoins bancaires “de base” de ces clients.
Une offre garantie sans découvert
Quelle est alors la plus-value du Compte-Nickel? Il ne fournit ni ne permet d’endosser de chèques et ne propose pas de solutions d’épargne. Aucun découvert n’est toléré, ce qui est garanti par un système d’information “en temps réel” de l’établissement. Une prévention à la source du surendettement, mais qui impose au client, le cas échéant, de trouver des solutions alternatives pour combler ses fins de mois.
Le coût du service est de 20 euros par an, auquel il faut ajouter le coût des retraits (0,5 euro chez un buraliste, un euro dans les distributeurs automatiques) et des dépôts (facturés 2% du montant). Les virements sont quant à eux gratuits, ainsi que les 60 SMS permettant de connaître en temps réel le solde de son compte. Alors que les clients du Compte-Nickel effectuent en moyenne 30 retraits et quatre dépôts d’un montant moyen de 134 euros par an, l’offre reviendrait donc en réalité entre 45 et 60 euros par an. Un montant supérieur aux 36 euros de l’offre réglementaire. Mais ceci est à nuancer selon l’utilisation de ces services par les clients: intensité du recours aux retraits et dépôts d’une part, fréquence des découverts non autorisés et des rejets de prélèvements donnant lieu à des frais d’autre part.
Une réponse innovante à un réel besoin
Le Compte-Nickel a en tout cas su attirer parmi ses clients 25% de demandeurs d’emploi et de personnes aux revenus irréguliers et environ 15% de clients salariés ayant un salaire net mensuel inférieur à 1000 euros. En tout, cela représente plusieurs dizaines de milliers de clients “fragiles”. Incontestablement, il répond donc à un réel besoin.
Sa principale innovation, riche d’enseignements pour ceux qui s’intéressent à la “base de la pyramide” (BoP) en France, repose sur son approche du marché. Tout d’abord, l’offre est non stigmatisante et s’adresse à tous. Le Compte-Nickel met en avant l’innovation, la simplicité, la transparence et entretient une image quelque peu “contestataire”. Autant de “critères d’appartenance” positifs pour ses utilisateurs au même titre que chez d’autres acteurs de l’économie collaborative (Uber, BlaBlaCar…).
L’acceptation de sa situation constitue souvent une étape difficile pour une personne touchée par la pauvreté ou des difficultés financières. L’approche par nature inclusive du Compte-Nickel a su prendre en compte le ressenti profond de ces clients en les intégrant de fait à la “communauté Nickel”.
Un modèle visant à éviter la “double peine”
De plus, le modèle “low-cost” du Compte-Nickel se fonde sur des innovations tant au niveau technologique qu’au niveau de l'”entrée en relation” (ouverture d’un compte via la borne-Nickel) et une réelle convergence d’intérêts avec le réseau des buralistes qui en assure la distribution. Cela permet à Nickel de s’adresser à ces clients, habituellement jugés coûteux et risqués, avec le même service et la même tarification que les clientèles aisées. Ceci évitant le phénomène connu de “double peine” qui implique que les clients pauvres paient de manière générale plus cher que les clients aisés pour des services équivalents.
Les clients les plus pauvres du Compte-Nickel peuvent ainsi utiliser un service bancaire à distance de manière autonome, grâce à un simple téléphone portable, sans forcément avoir besoin d’Internet ou d’un smartphone. Une innovation tout droit inspirée des pays du Sud où s’est développé le “mobile-banking” (relation bancaire par SMS).
Ainsi, un an après, le Compte-Nickel fait la démonstration du potentiel commercial des clientèles fragiles en France. De par ses nombreuses innovations et au vu des premiers succès, le Compte-Nickel devrait donc être perçu comme un encouragement à tous les acteurs de développer des nouveaux business models inclusifs pouvant répondre aux enjeux socio-économiques actuels.