“Le plus difficile, c’est d’être dans une logique de développement durable avec un événement éphémère”

Pierre-Henri Guignard, secrétaire général de la COP21, revient pour “Tendances de l’innovation sociétale” sur le chantier immense que représente l’événement, qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre 2015, au Bourget.

Youphil.com: Depuis combien de temps travaillez-vous sur la COP21?

Pierre-Henri Guignard: Avec mon équipe, nous sommes installés en qualité de secrétariat général depuis le début de l’année 2015, mais nous avons commencé le travail de façon informelle depuis deux ans. Quand le Président a décidé que la France serait candidate à l’organisation de la COP21, il a mis en place un dispositif gouvernemental: un comité de pilotage présidé par le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui sera président de la COP21. Dans ce comité, il y avait l’ex-ministre de l’Écologie Delphine Batho et l’ex-ministre délégué au Développement Pascal Canfin.

Le comité de pilotage actuel comprend désormais Laurent Fabius, la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, la secrétaire d’État au Développement Annick Girardin, le ministre des Finances Michel Sapin, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, compte tenu des enjeux de sécurité. En amont, ce comité a décidé de mettre en place une structure de négociation, présidée par Laurence Tubiana et un secrétariat général que je dirige ayant vocation à organiser physiquement l’événement. Depuis cette année, François Hollande nous réunit tous lors d’une réunion bimestrielle pour faire le point sur les avancées de la conférence. Il est très investi.

De quels moyens humains et financiers disposez-vous?

Nous sommes une cinquantaine de personnes issues de plusieurs ministères: Affaires étrangères, Écologie, Intérieur et Éducation nationale. Les agents sont des fonctionnaires détachés ou contractuels mis à disposition par les quatre administrations. Nous n’avons pas recruté sur le budget de la conférence. Les agents travaillent avec les administrations concernées et les prestataires extérieurs. Soit 45 entreprises qui, par le jeu des marchés publics, ont remporté des contrats pour l’organisation de la conférence. Le budget, de 170 millions d’euros environ, a été voté par le Parlement sur les années budgétaires 2015-2016. L’objectif qui nous est fixé par Laurent Fabius est de rester dans cette enveloppe et, au bout du compte, de rendre de l’argent au contribuable. Le site, où est organisé traditionnellement le salon de l’aéronautique, est un site nu que nous devons aménager complètement. Mais cela nous permet d’adapter la forme au fond. Il faut que les négociateurs représentant les États aient des espaces où échanger et débattre, se reposer pour in fine parvenir à un accord.

Et la forme doit refléter le fond car nous nous sommes fixé un véritable objectif de développement durable. Dans le choix des matériaux, l’aménagement, nous ferons tout pour limiter l’empreinte environnementale de l’événement. Celle-ci sera d’ailleurs entièrement compensée. Le mot d’ordre qui nous a été donné par la Présidence de la République, il y a presque deux ans, est d’être “élégant”, parce que la France a une réputation à tenir, et “raisonnable”, compte tenu du contexte budgétaire.

Pour entrer dans une logique de gouvernance responsable, nous allons demander la certification ISO 20121. C’est le niveau atteint par les JO de Londres et qui représente une démarche tout à fait novatrice au sein de l’administration française. Aucun événement organisé par l’État n’a reçu à ce jour ce niveau de certification. Cette démarche responsable doit nous permettre d’entrer dans une logique de transparence et de dialogue à un degré jamais atteint lors des dernières COP.

Quelle est la principale difficulté que comporte cette certification?

Le plus difficile, c’est d’être dans une logique de développement durable pour un événement éphémère. Nous construisons une ville pour 15 jours. Il y a un travail à faire dans le choix des matériaux avec les prestataires. Nous avons la volonté de réutiliser, de recycler et d’utiliser le moins d’énergie possible. Nous voulons créer un précédent: si nous réussissons un événement comme celui-ci, il sera difficile par la suite de ne pas passer par ces étapes de certification lors des prochaines conférences climat. Être dans cette démarche nous a permis d’introduire dans les appels d’offres ou avenants aux appels d’offres existants, des éléments de développement durable. C’est un engagement profond qui s’impose aussi à nos prestataires et qui a été validé par nos ministres de tutelles, Laurent Fabius et Ségolène Royal.

Quelles sont les clauses environnementales que vous avez intégrées dans les appels d’offres?

Pour les traiteurs qui s’occuperont des délégués français, nous avons renouvelé avec Lenôtre le marché du ministère des Affaires étrangères qui arrivait à échéance. Nous en avons profité pour introduire des éléments sur les circuits courts, les produits de saison, la responsabilité sociale… Au Bourget, il y avait déjà deux concessionnaires: Elior et Horeto. Nous travaillons donc avec eux pour prendre en compte nos exigences en matière de développement durable et pour s’adapter aux sensibilités culturelles et religieuses des participants, qui viennent du monde entier.

Nous avons signé une charte avec ces deux entreprises. Les menus véhiculeront la tradition culinaire française, mais seront réinterprétés à l’aune du défi climatique. Ils seront également proposés à des prix accessibles, compte tenu des contraintes budgétaires des délégués. Cette démarche a été encouragée par les employés de ces concessionnaires qui ont compris que c’était une opportunité de se renouveler. On ne servira pas de fraises du Chili en décembre au Bourget.

Qu’allez-vous faire en matière de transports et de déchets?

Nous avons décidé de privilégier les transports publics. On ne peut pas organiser une conférence sur le climat, avec des invités qui arrivent en voiture individuelle ou en 4×4. Si un ministre se déplace pour raison de sécurité en véhicule seul, c’est bien normal. Mais nous estimons que la majorité des délégués doit pouvoir utiliser les transports en commun. Nous avons en effet à Paris un réseau dense et efficace, qui répond aux besoins des citoyens. Nous leur remettrons un pass navigo et les inviterons à prendre le RER B jusqu’à la gare du Bourget ou la ligne 7 du métro jusque Fort d’Aubervilliers. À partir de ces stations, des navettes (en particulier des bus hybrides dernière génération de la RATP), assureront le transport vers le site du Bourget.

Avec la préfecture de police, nous travaillons déjà à la fluidité du trafic sur la nationale 2, sur l’autoroute A1, pour essayer de faciliter la vie des riverains et des délégués. Dans les zones mal desservies, près de l’aéroport de Roissy, une navette directe sera mise en place. Tout cela est en cours de réalisation. Deux cents jeunes de la Seine-Saint-Denis en formation Bac Pro ou BTS réaliseront un stage d’études auprès de spécialistes de l’événementiel travaillant sur la COP21. Ils seront formés à la rentrée afin d’orienter les délégués dans les rames de métro, les gares et les endroits stratégiques. Quatre cents étudiants des universités Paris 8 et Villetaneuse, sélectionnés sur leur connaissance d’une ou de plusieurs langues étrangères, seront également bénévoles pour aider les délégations. Grâce à Renault-Nissan, nous disposerons de 200 véhicules électriques avec chauffeurs, qui, aux heures où il n’y a pas de transports publics, pourront raccompagner les délégués à leur hôtel, en complément des taxis.

Sur la question des déchets, notre objectif est d’en produire le moins possible. La Poste ramassera le papier en même temps que le courrier pour le recycler. Pour le reste, trois partenaires s’occuperont des déchets: Derichebourg, Suez environnement et Viparis qui est le gestionnaire du site du Bourget. Nous allons mettre en place un système de fontaine d’eau, pour éviter la prolifération de bouteilles en plastique. En revanche, les concessionnaires pourront toujours vendre de l’eau en bouteille.

Pour l’aménagement du site, vous aviez fait appel à l’origine à un collectif d’architectes (Encore Heureux), qui critique votre choix de livrer l’exécution du projet à une entreprise peu expérimentée sur le volet durable.

Ce que nous avons demandé à Encore Heureux, c’était de nous proposer une esquisse architecturale pour l’aménagement du site. Leur projet a été retenu à l’unanimité parce qu’il était le meilleur, le plus durable, le plus élégant et innovant. Ils ont remporté le marché, mais les clauses étaient très claires: nous devenions propriétaires du concept. Au final, nous en avons retenu 90%.

Notre seul différend portait sur la construction d’une salle de réunion de plénière qui nous plaisait beaucoup, mais qui, après une étude de faisabilité, s’avérait trop coûteuse. Nous avons donc retenu un autre aménageur qui a proposé une autre interprétation, tout aussi impressionnante. La structure, réutilisable, sera entièrement conçue à partir de bois français, et coûtera au final 4,2 millions d’euros au lieu de 7,4 millions. Donc nous assumons notre choix car nous avons le sentiment de respecter le mot d’ordre de l’Élysée.

Comment allez-vous compenser l’empreinte carbone de l’événement?

En fonction de l’évaluation de l’empreinte carbone de l’événement par un expert, nous ponctionnerons des financements sur notre budget pour soutenir des projets de reboisement, que notre équipe de négociation est en train de sélectionner. Si l’empreinte du site du Bourget sera pratiquement entièrement réduite à la source et compensée, reste que pour 85%, elle sera due aux déplacements des délégués en provenance de l’étranger pour venir à Paris. Nous espérons que la plupart des délégations feront leur propre compensation comme nous le faisons quand nous voyageons. J’espère pour ma part obtenir des crédits carbone de la part de l’un de nos mécènes pour compenser les déplacements des délégués venant des pays moins avancés.

Vous avez un objectif de 20% de financements par le mécénat? Où en êtes-vous?

Aujourd’hui, nous en sommes à 10%. Vingt conventions de mécénat ont déjà été signées et une quinzaine est en cours de finalisation. Le mécénat peut être financier -mais c’est minoritaire- ou en nature, pour permettre à certaines entreprises de contribuer à l’organisation de la conférence. Le mécénat doit correspondre à un besoin, qui n’engendre ni coût, ni délai supplémentaire. Les entreprises qui coopèrent avec nous doivent aussi partager notre engagement pour le climat et non faire du greenwashing.

Nous avons dans notre équipe des spécialistes du développement durable qui vérifient les engagements publics de ces entreprises. Jusqu’à maintenant, nous sommes satisfaits des partenariats établis, même si certaines ONG les critiquent, car elles ne veulent de toute façon pas que des entreprises participent. D’autres considèrent que l’on donne un label à des entreprises qui ne le méritent pas. De mon côté, je pense que si elles entrent dans cette démarche, c’est qu’elles y souscrivent. En travaillant avec nous, elles adhèrent aux dix grands principes du Pacte mondial des Nations Unies. Et nous nous assurons de notre côté que les secteurs très adverses au climat ne soient pas représentés. Nous avons eu un dialogue très franc avec les entreprises qui voulaient travailler avec nous. Certaines ont compris qu’elles prenaient le risque d’être critiquées et se sont abstenues. Les entreprises présentes sont donc climato-compatibles ou dans une démarche d’amélioration.

Quel intérêt les entreprises ont-elles à devenir mécènes? Comment faites-vous pour les convaincre?

L’intérêt est de prendre part à une démarche extraordinaire, car l’accord de Paris doit aboutir à un accord universel sur le changement climatique. En faire partie, c’est contribuer aux fondations de la lutte contre le changement climatique. En retour, les entreprises peuvent utiliser cet engagement dans leur communication. Et pour celles qui contribuent en nature, c’est une façon subtile de montrer ce qu’elles savent faire.

Mais à ce stade de préparation, nous n’acceptons plus ce type de mécénat, trop complexe à mettre en œuvre. Sur le plan financier, nous essayons d’obtenir des contributions des entreprises du continent américain, d’Asie et du Japon.

Avez-vous refusé des entreprises?

J’ai reçu beaucoup de représentants, mais il m’a suffi de rappeler le précédent de Varsovie. Les Polonais ont financé à hauteur de 3% la conférence via des contributions d’entreprises du pétrole et du charbon. Cela a été mal perçu par la société civile, même si ces entreprises sont aussi porteuses de solutions.

Vous ne regrettez pas à ce titre le mécénat d’Engie, entreprise qui finance des centrales à charbon polluantes?

Non, car Engie est porteuse de solutions et est entrée dans une démarche plus vertueuse. Engie et les ONG débattront au Bourget. Chacun est dans son rôle, mais il est bien que les entreprises puissent expliquer quelles sont leurs solutions. Nous avons décidé de recevoir largement la société civile en créant au Bourget-même les espaces “Générations climat”, où auront lieu des débats avec les délégués et observateurs. C’est une avancée par rapport aux autres COP, où la société civile était tenue à distance des débats.

Laurent Fabius estime que la COP21 aura des retombées économiques positives, de l’ordre de 100 millions d’euros. Comment ont-elles été évaluées?

Notre budget de 170 millions d’euros va financer le montage de la conférence et être globalement utilisé pour financer le travail des 45 entreprises prestataires. Ce sont donc des retombées économiques positives pour elles. Le montant de 100 millions d’euros a été évalué par la secrétaire générale de l’office des conventions et du tourisme de la Ville de Paris, Christine Gouvion Saint-Cyr, qui a estimé qu’en 15 jours, un événement qui implique 40.000 personnes en Ile-de-France, aura un chiffre d’affaires induit en restauration, hôtellerie de 100 millions d’euros. Certes l’événement peut s’avérer cher, mais par délégué, cela représente beaucoup moins qu’un G8, un G20 ou un sommet Afrique-France.

Certaines entreprises refusent de communiquer le montant de leur mécénat. Est-ce que cela ne va pas contre le principe de transparence que vous défendez?

Le budget de la COP21 a été voté par le Parlement. L’État est donc transparent. Mais certaines entreprises, vis-à-vis de leurs concurrents, préfèrent rester discrètes. Une fois l’événement terminé, nous communiquerons à la Cour des comptes le bilan total. Tout sera public car la contribution des entreprises sera en partie déductible d’impôts.